Ceci est le quatrième chapitre du récit de mon AVC. Pour commencer par le début de l’histoire, c’est ici.
Quatre pompiers prennent position au-dessus de moi et on me soulève en glissant la coquille sous mon corps tremblant.
Une fois gonflée, la coquille immobilise enfin mon côté droit virevoltant.
« On le descend comment? »
– « bah, il rentre pas dans l’ascenseur, là »
« Couché, non; mais si on met la coquille penchée? »
– « Sinon, on prend les escaliers »
« On va pas faire les 5étages par les escaliers! En plus j’ai 40 de fièvre » interrompt un infirmier du SAMU.
– « Au pire, on demande l’échelle et on le fait par l’extérieur ».
Le chef tranche : « On va tenter l’ascenseur ».
Ça s’en va et ça revient.
Sonia est missionnée pour appeler l’ascenseur.
Erreur de manipulation, de coordination, il repart.
Nathalie, notre voisine, qui est sortie sur le palier, le rappelle.
Il est aux environs de 7h45 et tout le monde veut utiliser l’ascenseur: il voyage entre les étages mais de revient pas au 5ème.
On m’a sorti sur le palier et posé le long de l’ascenseur, tel un colis IKEA en attente de livraison.
Je m’impatiente de cet ascenseur qui ne vient pas.
L’ascenseur arrive, les portes s’ouvrent et… personne ne réagit à temps, les portes se referment et le va-et-vient reprend.
Depuis six ans que nous habitons l’immeuble, je ne compte plus les fois où je l’ai dit à Sonia en chargeant les courses: on peut bloquer à l’étage d’une seule façon.
Je me concentre reprend mon souffle et râle: « Pour bloquer l’ascenseur, il faut bloquer les portes, maintenir son doigt sur le bouton appuyé ne sert à rien, bordel!!! »
Sonia me coupe: « Calme toi, il va venir. »
Nathalie s’active: « je descends à pied pour le faire libérer ». Elle s’éclipse par l’escalier au moment où la porte de la cage métallique s’ouvre à nouveau.
Le ridicule et la futilité
Les pompiers placent la coquille en angle, la tête vers le haut – fort heureusement – m’inclinant au maximum : l’heure est grave et pleine de ridicule.
Chenille orange géante, immobile avec ses deux yeux grands ouverts, totalement penchée, surplombant d’au-moins une tête le plus grand des pompiers.
Je suis devenu, en vingt-cinq minutes à peine, une chrysalide!
« Fermeture des portes » … « Descente » … … … « Etage principal ».
La voix numérique fonctionne mieux que la mienne.
Au moment où je sors de l’ascenseur, une pensée me traverse l’esprit comme un flash: c’est peut-être le dernier souvenir que j’aurai de cet endroit qui fut « chez moi », je vais peut-être mourrir dans les minutes qui viennent.
L’idée m’inquiète autant qu’elle m’amène de regrets sur ce que je voulais faire dans ma vie.
Je me reprends, même si c’est la fin pour moi, il y a certainement un moyen de rester digne.
Le flot de ma pensée s’évanouit, et je me laisse manipuler.
Dans le couloir du rez-de-chaussée, il est presque 08h00 et c’est encore le rush des parents qui amènent leurs enfants aux assistantes maternelles, des habitants de l’immeuble qui partent travailler.
Là, moi je suis hors champ. Ce brouhaha me paraît vain, toute cette agitation de l’activité humaine, qui peut s’arrêter d’un coup!
Vous me regardez peut-être avec curiosité? avec empathie? avec dédain? Ou bien vous notez simplement que « je gêne dans le couloir » et que je vais vous faire perdre de précieuses minutes pour attraper votre RER ou avoir le feu au vert.
De ma chrysalide orangée, vos gesticulations me semblent tellement futiles.
Un commentaire
JANICK LECLERC
4 décembre 2019 at 16 h 48 minTrès émouvant..