En route pour les urgences


Ceci est le cinquième chapitre du récit de mon AVC. Pour commencer par le début de l’histoire, c’est ici.

Le type de véhicule de secours qui m'a transporté lors de ma crise d'AVC
Le type de véhicule de secours qui m’a transporté lors de ma crise d’AVC.
A partir d’une photo de Kevin B. licence CC BY-SA 3.0

En quittant le hall de l’immeuble, le froid me rappelle soudain que je suis presque nu, je ne porte que mon caleçon et un T-shirt.
Le brancard est collé contre les portes ouvertes du camion des pompiers.
Toujours dehors, je crois qu’on me pose une seconde perfusion. Je ne dis rien et je tente de regarder, l’infirmière s’en rends compte et me dis simplement : « c’est pour la douleur ».

Des pompiers reviennent vers moi, et on me cale dans le camion. Avant que les portes ne se referment, j’entends Sonia qui demande « Je peux monter avec vous? »
– « Non, c’est mieux si vous le rejoignez plus tard »
« Vous l’emmener où? »
– « Orsay ou Sainte-Anne dans Paris, on ne sait pas encore ».
Le médecin coupe la parole au pompier: « Je les relance, on ne part pas tant qu’on n’est pas sûr de l’hôpital. On ne prend pas le risque de perdre encore plus de temps en changeant de destination. Madame, on vous préviendra, quel est votre numéro de téléphone? ».
« 06 xx xx xx xx ».

Ne laissez pas ma femme conduire

Quelques instants s’écoulent, je suis immobile.

J’ai très mal, toujours la sensation que mon crâne est branché sur le secteur et que mon oeil gauche est incandescent.
De plus, dès que je laisse mon esprit s’attarder sur la douleur, je suffoque. Je ne parviens à reprendre mon souffle qu’en fermant les yeux, en visualisant mon torse, et en « pensant exclusivement respiration ».

Le camion démarre, nous allons partir.
Je pense à Sonia, j’ai bien senti dans sa voix qu’elle est angoissée, et puis je l’ai vue paniquer avec le digicode il y a quelques minutes.
Une conclusion immédiate s’impose à moi, je dois la communiquer au secours. J’ouvre les yeux, il y a du monde dans le camion avec moi et je dois parler.
J’inspire de l’air, et j’utilise tout le souffle disponible pour répéter: « Empêchez ma femme de conduire, elle n’est pas en état de conduire. Il ne faut pas qu’elle prenne la voiture. S’il vous plaît empêchez là ».
– « Ne vous inquiétez pas » .

Dieu que j’ai mal.
Le camion démarre, la sirène retentit puis s’arrête.
Nous roulons.
Je suffoque à nouveau. Le rythme saccadé du véhicule est davantage régulier que celui de ma respiration: ralentissement, sirène en marche, accélération, vive allure, arrêt de la sirène… et on recommence.

Toutes les morts sont nulles

Je fixe le plafond de la camionnette, une tôle en métal blanc avec une lampe froide.
« Regarde bien, Francis, c’est peut être comme cela que l’histoire se termine. C’est nul. mais tu ne peux rien y faire – et toutes les morts sont nulles, non? »
C’est angoissant de réaliser que la mort soit nulle à ce point. Je me dis que nous sommes tous égaux face à ce néant si nul.
« Dalida voulait mourrir sur scène et sa mort aussi a été nulle. »

Je suffoque, puis reprends le contrôle de mon souffle.
« Réfléchis un peu. Non, arrête de réfléchir, tu as trop mal, d’ailleurs le mieux c’est de fermer les yeux et de dormir ».

-« Monsieur, restez avec nous, faut pas dormir là. »
Je dois réfléchir, je me concentre tant bien que mal.
« OK, le gars a perdu le réflexe de la respiration, donc s’il tombe dans les pommes, c’est mort: le défibrillateur ne fera pas repartir la respiration et la R.C.P (réanimation cardio-pulmonaire) ne prendra pas.
Donc pour survivre, il faut que le gars respire consciemment.
Le problème c’est que le gars, c’est toi ».

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