Je ne lâche rien pendant ma crise d’AVC.

Ceci est le sixième chapitre du récit de mon AVC. Pour commencer par le début de l’histoire, c’est ici.

Je me concentre sur ma respiration.
J’inspire, je compte trois seconde en gardant l’air, j’expire, je compte deux secondes, puis je recommence.

« L’autre » voudrait s’endormir

J’ai terriblement mal à la tête, toujours l’impression d’être branché sur le 220V.
J’ai l’oeil gauche en feu.

S’instaure alors en moi un dialogue étrange:
« Allo? j’en peux plus là! On va fermer, c’est ton cerveau qui te parle, et je dis que c’est trop dur, on va dormir un peu. »
– « Ta gueule, tais toi! Si tu dors, on est foutu tous les deux, alors restes éveillé, ok? Je prends les commandes, point. »
L’autre partie ne répondra pas.

J’ai peur. J’ai peur de mourir, mais surtout de finir en légume, je ne veux pas finir en légume.
Je dois exprimer ma volonté. Encore une fois, je ferme les yeux, je me concentre et je me lance.

« S’il vous plaît, écoutez-moi: Je suis Francis VERDET, je suis conscient et voici ma volonté éclairée. »
Chaque mot me demande un effort extraordinaire pour être prononcé. Pis encore, je dois m’arrêter un peu n’importe où au milieu de mes phrases pour respirer.
Je poursuis.

« Si je sombre, que je suis en arrêt (cardiaque) ne me ramenez pas.
Ma femme et moi avons discuté de cette possible situation, elle comprendra et vous n’aurez pas à vous justifier.
Vous m’avez compris? »
– « Oui. Calmez vous monsieur. »

Mode auto vérification: activé

Je suis calme, ce n’est pas la question. Je n’ai plus la force de parler.
La douleur dans ma tête me fait craindre que les choses ne s’aggravent encore. Je dois contrôler mon fonctionnement.
Puisque je en peux plus parler, je vais travailler de tête.

« Je suis Francis VERDET, je suis né le 24 mars 1971 à Sainte-Marguerite dans les Vosges.
Ma femme s’appelle Sonia et nous nous sommes marié le 18 juin 2000. »

OK, on continue, vérifie les bases.
« a b c d e f g … … … x y z »

Ok, essaie dans l’autre sens pour vérifier ta logique inversée.

« z y x w … t s q r … d c b a. » Bon c’est plus dur, tu as fait quelques erreurs, mais on s’en fout, la logique est là.

Ton anglais, vérifie ton anglais.
« My name is Francis VERDET, I was born on march 24th 1971 in Sainte-Marguerite, France.
My wife’s name is Sonia. We got married on June 18th 2000 in Normandy. »
« She sells seashells on the seashore. »

Ok, et compter? tu sais encore compter?
« 1, 2, 3, 4, 5, 6 … … 51, 52, 53 … … 98, 99, 100, 101, 102 … … 199, 200. »
Ok, dans l’autre sens maintenant.
« 100, 99, 98, 97 … … 23, 22, 21 … … 3, 2, 1, 0. »

Je poursuis ces exercices sans m’arrêter, avec ce qui me vient à l’esprit:

Songe, songe, Céphise, à cette nuit cruelle
Qui fut pour tout un peuple une nuit éternelle.
[… j’ai oublié quelques pieds …]
Songe aux cris des vainqueurs, songe aux cris des mourants,
Dans la flamme étouffés, sous le fer expirants.
Peins-toi dans ces horreurs Andromaque éperdue :
Voilà comme Pyrrhus vint s’offrir à ma vue ;
Voilà par quels exploits il sut se couronner ;
Enfin voilà l’époux que tu me veux donner.
Non, je ne serai point complice de ses crimes ;
Qu’il nous prenne, s’il veut, pour dernières victimes.
Tous mes ressentiments lui seraient asservis.

Racine – Andromaque Acte 3, Scène 8 (extrait)

J’ai toujours très mal, il y a comme un bruit de fond de court-circuit, et pourtant, je continue de tester ce que j’arrive encore à faire.